Coronavirus: les vrais risques et les biais cognitifs liés à la panique
1. Les vrais raisons pour lesquelles il est important de rester chez soi
Dans mon article sur le coronavirus d’il y a quelques semaines, j’avais fait deux prévisions issues des données disponibles. Premièrement, que ce virus allait se propager à travers le monde et qu’il serait probablement inévitable que la majorité d’entre nous l’attrapions à un moment donné. Deuxièmement, qu’il serait probablement bien moins mortel que les chiffres sortant de la Chine l’ont initialement laissé penser.
Ces deux idées se vérifient de plus en plus au fil des semaines. La Chine n’était absolument pas prête lorsque le virus s’est déclaré. Ils ont depuis pris des mesures draconiennes pour limiter les infections. De plus, dans la majorité des cas (plus de 80%) les symptômes sont modérés, similaires à un rhume ou la grippe. Les symptômes peuvent d’ailleurs être tellement modérés que l’on pense aujourd’hui que de nombreuses personnes qui attrapent le virus ne s’en rendent même pas compte.
Il y a actuellement une augmentation des mesures de quarantaines. Les gens restent chez eux, font du télétravail, conférences, événements et vols sont annulés, quartiers et villes entières sont confinés. Ces mesures peuvent paraître draconiennes face à ce que la majorité considérera comme juste une mauvaise grippe qui tourne. Ainsi, l’opinion semble majoritairement penser qu’il ne s’agit que d’un nouveau cirque médiatique sans fondement.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, je ne suis pas d’accord, alors même que j’ai récemment écrit un article de 30 pages critiquant les médias pour leurs réactions excessives omniprésentes. Ce n’est donc pas tous les jours que je reconnais qu’une panique médiatique est probablement justifiée.
Alors, je sais : la grippe saisonnière tue des milliers de personnes par an et, oui, j’ai bien compris que le coronavirus ne tue que les plus de 70 ans, et j’ai conscience que la bourse n’est pas aux mieux ces dernières semaines.
Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que les mesures de quarantaine ne sont pas mises en place pour nous empêcher de tous tomber malades, mais bien pour freiner la diffusion du virus afin de ne pas submerger le système de santé.
Environ 10 à 15% des personnes infectées nécessitent une hospitalisation. Les épidémiologistes prédisent actuellement que 40 à 70% de la population mondiale attrapera le virus dans l’année à venir. Supposons qu’il s’agit d’une exagération et ramenons ce chiffre à 30%. Aux Etats-Unis, cela signifierait que 110 millions de personnes tomberont malades, parmi lesquelles 10 à 15 millions nécessiteront une hospitalisation.
Malheureusement, les hôpitaux américains n’ont qu’une capacité de 924 000 lits, dont les deux tiers sont habituellement déjà occupés par des patients souffrant de cancer ou toute autre pathologie.
Si se confiner chez soi peut donc paraître exagéré et inutile à titre individuel, d’un point de vue du risque systémique, c’est la seule décision possible. Plus les gens sortent de chez eux, plus le virus se répand rapidement, et plus il se répand rapidement, plus les hôpitaux sont inondés, et plus les hôpitaux sont inondés, plus il y a de morts inutiles.
C’est aussi simple que ça.
Alors non, vous et moi n’allons pas mourir. On ne tombera peut-être même pas malades. Mais en propageant le virus, on peut causer la mort d’autrui. A méditer…
2. Dilemme tragiquement simple: crise sanitaire ou crise économique?
Oui mais voilà. Si on met une proportion significative de la population en quarantaine, on génère un autre problème : le commerce est paralysé.
On estime que 30% des petites entreprises sont actuellement fermées en Chine. Le Japon a fermé toutes ses écoles pour le mois de mars, avec près d’un million d’enseignants au chômage technique. Des millions d’employés sont en télétravail, ce qui causera vraisemblablement une baisse de la productivité. Des milliers de vols, croisières, conférences et événements sont annulés à travers le monde.
Prendre la décision raisonnable pour la santé publique, c’est aussi créer un nouveau risque systémique : la récession économique. Mais encourager les gens à continuer à vivre comme si de rien n’était pour éviter une récession économique, c’est augmenter le risque d’une crise sanitaire.
Il est d’ailleurs intéressant de comparer les réactions de différentes cultures à ce dilemme. Certains pays se montrent clairement plus disposés à accepter la perte de stabilité économique au profit de la santé publique. D’autres sont au contraire prêts à risquer une crise sanitaire pour garantir la stabilité économique à court-terme.
Aux Etats-Unis, le message pour l’instant est plutôt « circulez, y’a rien à voir ». Donald Trump a publiquement comparé le virus à la grippe et considère qu’il disparaitra comme par magie. La population demeure cruellement sous-diagnostiquée et les hôpitaux sous-équipés. Tout semble prévu pour minimiser l’effet de panique et la chute de la bourse plutôt que de maximiser la sécurité. Comme d’habitude, aux Etats-Unis, c’est l’économie d’abord!
En comparaison, en Chine, en Italie ou encore en Corée du Sud, des quartiers et des villes entières ont été placées en quarantaine et des milliers de tests sont effectués tous les jours au moindre signe de maladie. Par conséquent, les chiffres de personnes infectées en Italie et en Corée-du-Sud sont très élevés par rapport à d’autres pays, faisant penser qu’ils sont l’épicentre de l’épidémie. Mais je ne serais pas surpris si au final ils s’en sortaient mieux que la majorité.
Après, il y a toujours la méthode nord-coréenne, où la première personne à avoir été testée positive au coronavirus a été fusillée sur le champ. Chacun sa méthode…
3. Nos biais cognitifs
J’ai souvent écrit sur le fait que nous pensons de manière inexacte et que nous avons des croyances erronées basées sur des émotions irrationnelles.
Le coronavirus est intéressant car la population semble se diviser entre ceux qui paniquent et ceux qui sont dans le déni. C’est soit « On va tous mourir! » soit « Arrêtez avec la parano! ».
La vérité, comme souvent, se situe au milieu. D’un point de vue individuel, la plupart d’entre nous ne risquons rien. D’un point de vue systémique, le risque est majeur. C’est exactement dans ce type de scénario – grande différence entre risques individuels et systémiques – que tout part en vrille.
Cela s’explique par le fait que, par réflexe, nous voyons les choses selon la manière dont elles nous affectent personnellement, et non selon leurs conséquences sur le pays, la communauté ou le monde. Nous souffrons de faiblesses cognitives sur ce genre de choses (non, je ne parle pas seulement d’être mauvais en maths). Par exemple:
- Nous avons tous tendance à penser de manière linéaire, et non exponentielle – Paul Graham a écrit un excellent tweet à ce sujet, où il explique que « personne n’est surpris quand je leur dis qu’il y a 13 000 cas de Covid-19 hors de Chine ou quand je leur dis que ce chiffre est multiplié par deux tous les 3 jours. Par contre, quand j’explique qu’à ce rythme, nous aurons 1.7 millions de cas dans 3 semaines, ils n’en reviennent pas. » L’économiste Tyler Cowen note que les personnes les plus inquiètes au sujet du coronavirus semblent-être celles qui ont l’habitude de penser de manière exponentielle, travaillant dans la technologie, la finance ou la science. Ceux qui pensent qu’il s’agit d’une bande de pleurnichards qui chouinent pour rien sont des personnes qui ont l’habitude de penser de manière linéaire.
- Nous avons tendance à nous focaliser sur les effets primaires, pas les effets secondaires ou tertiaires – Si vous détruisez votre voiture, vous allez sans doute être en colère du fait que votre voiture est détruite (effet primaire), alors que les effets secondaires ou tertiaires – comment emmener vos enfants à l’école, hausse du prix de l’assurance donc perte de pouvoir d’achat – auront un impact plus important que la destruction de votre voiture. La majorité des analyses que j’ai pu lire au sujet du coronavirus s’arrêtent aux effets primaires. « Prenez soin de vous, lavez vous les mains, tout ira bien. » Même moi, il y a quelques semaines, je pensais comme ça. Or les effets secondaires et tertiaires sont potentiellement beaucoup plus graves.
Juste un exemple: le système de santé américain est profondément déficient. Environ 60% de la population n’a pas les moyens de payer des soins d’urgence et 10% de la population n’a aucune assurance maladie. Le système Medicare (qui couvre les personnes âgées) est déjà en situation financière précaire. Si 20 millions de personnes affluent vers les hôpitaux cette année, on pourrait faire face à un autre type d’épidémie : les faillites.
Autre effet secondaire possible : la dé-globalisation. Les mesures de quarantaine et l’interruption des chaînes d’approvisionnement font forcer les pays à s’adapter en réinvestissant leurs ressources au sein de leur propre territoire, les liens commerciaux vont se briser, avec pour conséquence une méfiance accrue envers les visiteurs et les relations commerciales, ce qui va bouleverser l’esprit politique de notre époque.
Autre exemple: c’est pour les personnes âgées que le coronavirus est le plus dangereux. Les personnes âgées votent plus que n’importe quelle autre catégorie d’âge aux Etats-Unis et sont généralement la population la plus conservatrice. Les Etats-Unis, la Corée-du-Sud, la Grèce et la Pologne sont juste quelques exemples de pays avec des élections majeures cette année. Si 10 à 20% des personnes âgées ne peuvent pas voter, cela pourrait influencer les résultats électoraux dans de nombreux pays.
Encore un exemple ! Les pays occidentaux et le Japon ont généralement des populations plus âgées. Ils ont plus de vieux que de jeunes. Le Moyen-Orient et les pays africains sont incroyablement jeunes. Certains pays sortiront de cette crise bien moins affectés que d’autre simplement grâce à leur pyramide des âges. Cela signifie moins de coûts de santé, moins de perte de productivité, moins de peur et de panique dans les marchés économiques, etc…
Je ne dis pas que tout cela se produira forcément. Ce sont juste des exemples de conséquences pas forcément évidentes auxquelles on pourrait réfléchir dès maintenant.
- Nous avons tendance à nous focaliser sur des solutions ponctuelles, plutôt que de modifier nos comportements quotidiens – Enfin, comme je l’ai expliqué précédemment, nous avons tendance à nous focaliser sur le pouvoir de décisions isolées et fortes pour changer les choses plutôt que sur la possibilité d’additionner de nombreuses petites modifications qui seraient pourtant plus efficaces. Porter un masque est par exemple pratiquement inutile alors qu’un régime régulier riche en fruits et légumes avec des vitamines C et D est bien plus efficace pour renforcer le système immunitaire. Très honnêtement, les meilleures choses à faire pour se protéger du coronavirus sont des choses qu’on devrait faire au quotidien: manger sainement, boire moins d’alcool, ne pas fumer. Et oui, surtout, se laver les mains.
Désolé si je donne un peu l’impression d’être le prophète du malheur, mais voici quelques éléments à garder en tête:
Tout d’abord, ce type de situation est la norme dans l’histoire de l’humanité, pas l’exception. Nous avons été particulièrement épargnés par les maladies récemment. On s’en sortira. Comme à chaque fois.
Deuxièmement, je sais qu’on utilise le terme « crise » économique, mais en réalité les contractions économiques sont normales et saines pour l’économie. Cela permet de se délester de poids inutile en déterminant quelles entreprises créent de la valeur ajoutée pour la société et lesquelles se laissent porter par la majorité. Ou, comme le dirait Warren Buffet: « c’est seulement quand la marée descend que l’on réalise qui nageait tout nu. »
Enfin, on ne sait tout simplement pas ce qu’il va se passer. Un vaccin miraculeux pourrait être développé le mois prochain. Des températures en hausse pourraient éradiquer le virus d’ici cet été. Il y aura peut-être une mutation qui le rendra moins mortel. La crise sanitaire pourrait forcer nos systèmes de santé à devenir plus solides et rentables. Les mesures de quarantaine pourraient transformer la culture vie-travail à travers le monde. Les émissions de carbone chuteront peut-être. Le cybersexe pourrait faire un retour en force. Qui sait?
Si on regarde à travers l’histoire, les changements les plus profonds et les plus indispensables s’opèrent souvent après des crises majeures, de la même manière que nos changements personnels interviennent souvent à la suite de traumatismes. La douleur fait grandir. Et dans la destruction, il y a toujours une opportunité de construction.
Alors prenez soin de vous. Attention à l’hygiène. Restez à la maison autant que possible. Et enfin… gardez vos distances avec grand-mère pour l’instant.
Traduit par Charles Dassonville
Relecture par Denis Feurer