Au fait, à quoi ça sert le développement personnel ?

Il y a un paradoxe dans l’idée de développement personnel : le but ultime de toute démarche de développement personnel est d’arriver au point où l’on ne ressent plus le besoin de s’améliorer.
Quand on y pense, tout l’intérêt d’améliorer sa productivité est d’arriver au jour où l’on n’a plus besoin de réfléchir à comment être plus productif. Tout l’intérêt de chercher le bonheur est d’arriver au point où l’on n’a plus besoin de penser au fait d’être heureux. Tout l’intérêt d’améliorer ses relations est de pouvoir profiter d’un cunnilingus sans drama au drive de McDonald sans être à deux doigts de planter la voiture.

(Pour le dernier, j’y travaille encore)

Le développement personnel va donc, d’une façon assez bizarre, à l’encontre même de son but.

La seule façon de réellement atteindre son potentiel, d’être complètement épanoui, ou de devenir une personne « accomplie » (peut importe ce que ça signifie), est, à un moment ou à un autre, d’arrêter d’essayer d’être toutes ces choses.

L’une des choses que je trouve intéressantes chez Tyler Durden dans Fight Club est sa capacité apparente à comprendre la vanité implicite et l’obsession de soi qui vient avec le désir de s’améliorer.

Bon, avant de tous imiter Fight Club, de se battre dans un sous-sol et de faire sauter des banques, je pense que le développement personnel et les millions de podcasts, livres, séminaires et articles que l’on consomme de manière obsessionnelle ont un rôle important. C’est promis.

Mais, comme d’habitude, ça dépend beaucoup de la raison pour laquelle on s’intéresse au développement personnel. Alors, allons nous rhabiller et regardons ça de plus près.

COMMENT APPROCHER LE DÉVELOPPEMENT PERSONNEL ?

Il existe deux approches du développement personnel :

1) Le junkie du développement personnel. Les junkies ont l’impression qu’ils ont besoin de participer à chaque nouveau séminaire, de lire tous les nouveaux livres, d’écouter tous les podcasts, de lever tous les poids, d’embaucher tous les coachs de vie, d’ouvrir tous leurs chakras et de parler de tous leurs traumatismes d’enfance — à la fois réels et imaginés — sans cesse. Pour le junkie, le but du développement personnel n’est pas le développement en lui même, c’est plutôt une forme subtile de FOMO (Fear of Missing Out : la peur de manquer quelque chose). Le junkie est perpétuellement rongé par le sentiment qu’il reste encore un conseil, une technique, une information magique à découvrir qui permettra sa prochaine grande avancée (ici encore, à la fois réelle et imaginée).

Pour les junkies, le développement personnel devient une sorte de hobby glorifié. C’est ce dans quoi ils dépensent tout leur argent, ce qu’ils font pendant leurs vacances, là qu’ils rencontrent leurs amis et leur réseau.

Pour la plupart des gens, ce n’est pas nécessairement un si gros problème. On peut surement dépenser son argent et son temps pour des choses pires que ça (oh, salut, meth et cocaïne, vous ici !).

2) Le touriste du développement personnel. D’autres personnes ne s’intéressent au développement personnel que lorsque des trucs vraiment merdiques arrivent. Ils viennent de se prendre une claque en pleine figure avec un divorce ou la mort d’un proche, et maintenant ils sont déprimés ou ils viennent de se souvenir qu’ils avaient un prêt de 135,000 $ sur une carte de crédit qu’ils ont, on ne sait comment, oublié de rembourser ces 11 dernières années.

Pour les touristes du développement personnel, les outils de développement personnel sont l’équivalent d’aller chez le docteur. On ne se présente pas à l’hôpital un mardi au hasard en disant « Hey Doc, dites-moi ce qui ne va pas chez moi ». Ce serait insensé.

Non, on va seulement à l’hôpital lorsqu’il y a déjà quelque chose qui ne va pas et qu’on se tord de douleur.

Ces personnes utilisent les outils de développement personnel pour changer ce qui les dérange, pour les remettre sur pied, et ensuite ils repartent explorer le monde.

Je défendrais l’idée que les touristes du travail sur soi utilisent les conseils du développement personnel d’une manière saine et que ce n’est pas le cas (souvent, mais pas toujours) des junkies. Souvenez-vous, le paradoxe de toute croissance personnelle est d’atteindre un point où l’on ne ressent plus le besoin de s’améliorer. C’est pourquoi la complaisance dans les outils de développement personnel continue tout simplement de nourrir le sentiment d’inadéquation.

Beaucoup de gens en viennent aux outils de développement personnel parce qu’ils ont le sentiment que quelque chose ne va pas chez eux ou dans leur façon d’être. Le problème c’est que tout ce qui nous dit comment améliorer notre vie implique aussi qu’il y a de façon inhérente quelque chose qui ne va pas chez nous comme nous sommes.

Ces personnes peuvent finir dans une sorte de spirale. Ils ingurgitent des conseils de productivité puis commencent à se lever à 6 heures du matin, à mettre de la pisse de vache dans leur café, à méditer 30 minutes avant le petit déjeuner, à écrire un journal avec des rythmes binauraux en fond sonore pendant qu’ils visualisent leur animal totem.

Ensuite, ils réveillent leurs enfants pour aller à l’école….

Et, oh merde, et s’ils s’y prenaient mal pour réveiller leurs enfants ? Et maintenant, ils achètent 22 livres sur les tactiques de parentalité, puis des séminaires sur la meilleure façon d’augmenter la confiance en soi de ses enfants, qui mènent ensuite à un autre séminaire sur les façons de prévoir le futur financier de ses enfants, et ÇA mène à un extravagant mastermind super-premium à 10 000 $ pour lequel ils s’endettent et ré-hypothèquent leur maison afin d’apprendre comment devenir millionnaire avant l’âge de 50 ans.

Où est-ce que ça s’arrête ?

Ça ne s’arrête pas.

Ou alors pas avant qu’on ne décide que c’est le cas.

GARDER EN TÊTE LA SITUATION GÉNÉRALE

Il n’existe pas de vie optimale. Bien sûr, il y a des habitudes et des actions plus saines que d’autres. Mais le 80/20 ici est assez simple : juste ne pas merder avec les choses importantes.

Il n’y a pas de problèmes à utiliser des outils de développement personnel tant que l’on comprend notre relation à ces outils. Et que l’on s’assure que c’est une relation que l’on contrôle, et pas l’inverse.

Parce que le junkie de la croissance personnel peut expérimenter le sentiment de croissance/transcendance/amélioration/conscience élargie encore et encore. Mais juste parce que l’on a l’impression d’avoir avancé ne signifie pas que c’est le cas.

Parce que la seule façon dont on bénéficie vraiment du développement personnel c’est d’arriver au jour où l’on en a plus besoin. Comme un plâtre pour un bras cassé. Ou un bandage pour une coupure profonde. On le met, on laisse guérir. Et ensuite on l’enlève et on continue sa vie.

Traduit par Our Words Make Sense